vendredi 13 février 2015

La lettre



Depuis le rendez-vous j’attends très impatiemment avec une patience à toute épreuve le courrier du conseil général. Je bondis sur MariChéri dès qu’il tient une pile d’enveloppes entre ses mains.
                           « Non mais, là, c’est le courrier à envoyer. Je dois les poster !
                          - Ah… Oups ! Pardon. Désolée » lui dis-je avec mon plus beau sourire.

J’oscille entre le « oui ça va aller. Elle m’a demandé d’organiser la garde de mes enfants pour la rentrée » et le « Non ! Non ! Il y a rien eu de bien », niant intégralement les bonnes choses de l’entretien. Parfois les erreurs repassent en bouclent dans ma tête. Je m’angoisse. La dernière fois que j’avais ressenti une anxiété pareille, c’était pour les résultats du baccalauréat. Oui je dramatise un peu (beaucoup me hurle MariChéri dans l’oreillette) en période stress. Un exemple ?... Hum… Crise de larme dans les bras de MariChéri le soir quand les enfants sont endormis. Prononçant des phrases inaudible entre deux sanglots : «  jvfrkouaaadmvi sigépmongréman!? ». Dans ma tête sans les pleurs ça donne ceci : « Je vais faire quoi de ma vie, si je n’ai pas mon agrément !!!! ». Tragédie grec home made.
Je sais pertinemment  que je vais avancer, quoi qu’il arrive. Mais j’ai ce besoin de pleurer, de m’apitoyer pour mieux rebondir. Une sorte de conjuration de mauvais sort peut-être. Au bout de plus de dix ans, je ne sais même pas si MariChéri y prête encore de l’attention. (Il me crie dans l’oreillette qu’il ne le remarque même plus.)

Bien évidemment la lettre est arrivée un jour où je n’y pensais plus.

Promenade avec les enfants dans le bois.Il y a aussi une marre. Le début du printemps a fait sortir les canards et les petits canetons. La journée est radieuse. Si bien que nous portons seulement un gilet et une petite veste. Les enfants jettent du pain rassis aux palmipèdes. Ils regardent attendrie les cannes et leur petits. Ils tentent d’en attraper un ou deux, vainement. L’heure du repas approchant, je leur signale que nous nous mettons sur le chemin du retour. Maya, ma dernière tout juste un an, marche depuis un mois. Elle me tend les bras. Marcher arrivée près de la marre est une chose, faire les un ou deux kilomètre jusqu’à la maison en est tout autre. Je la fais voltiger sur mon dos et attache le porte-bébé. Ma grande de 7 ans, Clara, a ramassé des fleurs, des brindilles et des cailloux. Le deuxième de 4 ans, Loric,  l’a imité. Nous marchons sous un soleil doux et éclatant.

                  « Maman on pourra faire des collages avec ce que nous avons ramassé ?  Me demandèrent-ils en arrivant à notre portail.
                              - Bien sûr ! Mais après le repas. Pendant la sieste de Maya. »
Nous discutons tous ensemble avec bonne humeur. Maya, qui avait posé sa tête entre mes deux omoplates à l’entrée de notre rue, se met à caresser les petits cheveux de ma nuque tout en tétant ses doigts de l’autre main. Le sommeil est proche. J’attrape la pile de courrier dans la boite tout en riant avec Clara.
                          « Maman… Je crois que… »
Elle a reconnu l’entête du conseil régional. Je me fige et regarde la grande enveloppe marron comme si elle allait exploser.
                          « Rentrons, leur dis-je.
                          - Tu ne l’ouvres pas maman ?!
                          - Je ne voudrais pas gâcher notre journée. J’attendrais ce soir.
                          - Pfff maman, comme si la réponse pouvait être non ! » S’exclame-t-elle en levant les yeux au ciel.
Soudainement Maya devient plus lourde. Elle s’est endormie. J’entends toujours le bruit de la succion de ses doigts qui s’intensifie. Je palpe l’enveloppe. Elle est épaisse. Il y a plusieurs feuilles dedans.
                          « Rentrons. Je l’ouvre une fois à la maison. »
Clara me sourit, ravie. Elle est impatiente de savoir. J’ai peur qu’elle soit déçue si la réponse est négative. Loric a déjà couru jusqu’à la porte d’entrée. Nous remontons l’allée. Le bruit de succion dans mon dos s’arrête. Le bras de Maya ne tarde pas à tomber en frôlant mon dos. Elle est totalement dans le pays des songes. J’ouvre la porte d’entrée. Les grands jettent leurs chaussures contre le meuble et leur manteau au pied de la patère.
                          « On accroche les manteaux et on range les chaussures » dis-je d’une voix absente.
Je déchire l’enveloppe. J’en sors mon agrément et tout un tas de papier explicatifs. Je suis officiellement assistante maternelle ! Il ne reste plus que la formation à passer et je pourrais travailler. Je me tourne vers Clara et Loric. Clara comprend immédiatement l’expression de mon visage pendant que Loric, impassible, joue avec deux cailloux. Mon ainée commence a explosé de joie avec moi. Nous sautillons toutes les deux en poussant des petits ricanements. J’avais complètement oublié Maya dormant dans mon dos. J’indique à Clara de se calmer en même temps que moi. Mais, imperturbable, la petite a juste resserré son étreinte contre mon dos sans se réveiller. Un petit ronflement émerge même de mon dos. Clara et moi rions en silence.
                          « Bah quoi ? Demande Loric.
                          - Ca y est maman est assistante maternelle, lui déclare Clara.

                         - Ah ok…, nous regarde-t-il indifférent. Euh… On mange quoi maman ? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire